Insémination artificielle avec donneur la levée de l’anonymat

La levée de l’anonymat dans le cadre de l’IAD.

  • insémination artificielle avec donneur

Les chiffres et le contexte.

De tout temps la stérilité a été génératrice d’angoisses majeures. Mais quand un couple n’avait pas d’enfant, la femme était la première à être mise en cause. Ce déshonneur que subissait la femme stérile est lié à la valorisation ancestrale de la procréation. Avec la procréation, la collectivité assurait non seulement sa survie biologique, mais également sa propre survie sociale au travers de la transmission de valeurs, de normes, de pratiques et d’acquis de toutes sortes qui sont précisément liés à la reproduction du genre humain. Si le statut de femme était acquis à partir du premier enfantement, c’est avec lui que le corps féminin devint un enjeu de pouvoir. Mais l’homme aussi eut à souffrir de stigmatisation, car dans une société centrée sur le masculin viril et dominant, un homme infertile ou stérile était l’équivalent d’un homme impuissant.

De ce fait et de tous temps, les femmes et les hommes ont su trouver la parade à la stérilité du mari ! Ainsi les femmes avec ou sans le consentement de leurs compagnons ont toujours su trouver un géniteur. Frère du mari, ami de la famille, partenaire de rencontre… Le nombre important d’enfants adultérins (on parle en France de 3 à 5 % des naissances) explique en grande partie le succès des tests génétiques car il y a encore aujourd’hui de nombreux secrets de famille autour de l’origine d’une naissance. A une question sur l’étude du Lancet, affirmant qu’un enfant sur 30 ne serait pas du mari de sa mère, l’anthropologue Françoise Héritier, professeur honoraire au Collège de France et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, a répondu : « Je pensais que le pourcentage était encore plus élevé ! Ce phénomène concerne toutes les sociétés humaines et toutes les époques. Il ne s’agit ni d’un crime ni d’un complot des femmes contre les hommes mais d’une forme de résistance secrète au modèle archaïque de la domination masculine. C’est même l’une des rares soupapes laissées aux femmes dans certaines sociétés. On peut aller chercher de l’eau au puits et en profiter pour raconter ses difficultés aux voisines ou bien folâtrer avec un berger dans un pré. La situation la plus fréquente, nous dit-elle, était celles de filles mariées sans amour à des hommes plus âgés qui s’autorisent à en aimer un autre, et à avoir un enfant de lui, car Il n’y a rien de criminel à défendre ce qu’on a de plus humain en soi, c’est-à-dire d’éprouver des sentiments dans une vie qui n’est faite que de contraintes. Ce secret est parfois la source d’une forme de jouissance qui perdure toute la vie. C’est la preuve qu’on a été heureuse au moins une fois dans sa vie». N’oublions pas que les religions révélées ont accru le poids qui pesait sur les femmes en faisant de l’infidélité un pêché, une damnation. Alors que dans d’autres sociétés l’infidélité, qui est certes un délit contre l’ordre social, est acceptée. Dans ces sociétés-là, les enfants sont désirés. J’arrive là à la raison de cette digression sur l’infidélité dans une planche sur l’IAD qui peut vous sembler importune ! Pour dire bien fort qu’un enfant, même s’il vient d’un autre, c’est un cadeau pour la femme qui l’a tant désiré. Cependant le fait même de désirer un enfant est une problématique récente. Comme nous le rappelle Monique Bydlowski, neuropsychiatre et psychanalyste : «La question du désir n’a surgit que récemment, avec la généralisation de la contraception, puis quand la médecine a su palier à l’infertilité».

L’insémination artificielle avec donneur (IAD) fut introduite en tant que pratique médicale dans les années 1930 en Angleterre. C’est la très forte opposition de l’Eglise anglicane à cette pratique, l’assimilant à un adultère (on y revient encore), qui a incité le corps médical à imposer l’anonymat du don de gamètes, instaurant ainsi une forme de clandestinité à cette activité. L’IAD arrive en France à partir des années 1970, sous l’impulsion du professeur Georges David. Elle est assurée par vingt-trois centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (Cecos). Afin d’éviter tout débat avec les institutions religieuses le don de gamètes a été présenté à l’époque comme un don de sang. Afin d’éviter toute discussion éthique. Environ 5% des naissances par PMA sont obtenues avec un donneur tiers, 4% avec un don de sperme et 1% avec un don d’ovocyte. (Je vais traiter principalement du don de sperme, mais ne veux en aucun passer sous silence la générosité des femmes donneuses d’ovocytes). De 1973 à 2008 (chiffres du CECO) ce sont  45222 enfants qui sont nés grâce à un don et cela avec environs 17250 donneurs ou donneuses. Le nombre d’enfants conçus est en moyenne de 4,3 par donneur. Fin 2018 nous étions à environs 75000 enfants nés par IAD. L’infertilité progressant (recul de l’âge de la procréation, diminution de la qualité du sperme) le nombre de naissances par IAD augmente. Le seul frein étant le nombre de donneurs qui lui, hélas, stagne. Il est d’environ 250 à 850 par an en fonction des campagnes de sensibilisation au don. Le sujet de cette planche est la levée de l’anonymat et non le problème du nombre de donneurs. Nous verrons cependant que la chose peut être liée.

Le CCNE (Comité Consultatif National de Bioéthique) affirme qu’idéalement il faudrait lever l’anonymat sur le don de gamète. Il fait argument que la convention européenne des droits de l’homme a estimé que le droit de connaître ses origines relevait de l’intérêt supérieur de l’enfant (article 8 de la convention). En effet la cour a  reconnu sur cette base, le droit pour un individu d’avoir accès aux informations relatives à sa petite enfance contenues dans un dossier de l’assistance publique (arrêt Gaskin), le droit de connaître ses origines et les circonstances de sa naissance (arrêts Odièvre et Godelli) et le droit pour un enfant, fût-il âgé, d’avoir accès à la certitude de sa filiation paternelle (arrêt Jäggi). Elle se montre également favorable à la quête identitaire de l’enfant cherchant à faire établir sa paternité biologique. La Cour qualifie ainsi de «vital» l’intérêt de l’enfant, même devenu adulte, à obtenir les informations qui lui sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de son identité personnelle, dont l’identité de ses géniteurs fait partie, et à faire « reconnaître ces origines par le droit ». Alors pourquoi cette planche me direz-vous ? S’il suffit d’aller devant la cours Européenne de justice ! C’est que, si la Cour reconnaît que l’intérêt pour une personne d’accéder aux informations lui permettant d’établir les détails de son identité d’être humain est légitime, et même « vital », elle considère, en même temps, qu’il peut exister des motifs permettant de ne pas assurer une totale transparence sur les origines et, notamment, de ne pas révéler l’identité des parents de naissance (dans le cas notamment d’un accouchement sous X) qui ont, eux aussi, le droit au respect de leur vie privée. La difficulté réside dès lors dans la délicate mise en balance d’intérêts contradictoires tous protégés par l’article 8 de la Convention. Toute personne née d’un don de gamète a le droit de connaitre ses origines et tout donneur a droit à l’anonymat! Nous sommes là dans une position schizophrène et je ne pense donc pas que la levée de l’anonymat se fasse sans changement de la loi française. Sauf que et, je reviens ainsi à l’intérêt de cette planche, il y la loi et la réalité des pratiques sociales. En l’occurrence le phénomène de la recherche individuelle de ses origines par le test ADN.

Aux Etats-Unis: l’anonymat du don de gamètes s’effondre du fait des sites proposants de tester son ADN. Le tout premier à avoir trouvé son donneur de cette façon s’appelle Ryan Kramer. Il a retrouvé son père biologique en 2005 par un site de test ADN. Il lui a suffi d’un peu de salive et de neuf jours de recherches généalogiques pour découvrir l’identité de son père biologique, alors même que cet homme n’avait jamais testé son propre ADN et croyait qu’il ne serait jamais retrouvé. Contacté, il a répondu qu’il était « ravi d’être (son) père génétique« . Ils sont désormais en contacts réguliers. 

Treize ans plus tard, l’explosion des tests ADN individuels aux Etats-Unis permet aux personnes nées d’un don anonyme de sperme ou d’ovocytes d’identifier leur « donneur » dans la majorité des cas. Les donneurs sont le plus souvent identifiés indirectement par leur proximité génétique avec un cousin éloigné qui a lui-même fait un test ADN. Avec au moins dix millions de personnes analysées aux Etats-Unis, le simple jeu des probabilités fait que la quasi-totalité de la population est associable à l’un des profils enregistrés. 

Quatre sites proposent un service de test et d’association ADN (Ancestry, 23andMe, FamilyTreeDNA, MyHeritage, auxquels s’ajoute le site de comparaison ouvert GEDmatch, utilisé par la police). Ils ont aujourd’hui tellement de profils qu’il est rare de ne pas y trouver au moins un cousin éloigné. A partir de ce cousin, des outils de recherche généalogique (documents d’état civil publics, notices nécrologiques, recensements, journaux, réseaux sociaux…) aident à reconstruire l’arbre généalogique jusqu’à un ancêtre commun… puis à redescendre jusqu’au donneur, en recoupant par sexe, âge et lieu. Plus il y a d’informations, plus l’enquête est rapide. Ryan Kramer a trouvé 16 demi-frères ou demi-sœurs depuis 2005.  Entre 2015 et 2017 les ventes de kits ont bondi et permis aux sites d’atteindre une masse critique de profils. 

En France, où le débat sur l’anonymat des dons de gamètes accompagne celui sur l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, ces tests sont interdits. Mais de nombreux français contournent l’interdiction de livraison des kits, et il suffirait en théorie, de quelques centaines de milliers de profils pour commencer à obtenir des résultats. C’est déjà le cas au Royaume-Uni et dans une moindre mesure aux Pays-Bas. Il paraît évident que ces tests seront bientôt également la norme en France. Principalement pour deux raisons : d’abord parce que les français contournent la loi, ce qui amènera à une régularisation, et ensuite si le législateur suit les préconisations du  dernier rapport parlementaire paru le 15/01/2019 qui recommande que le fait d’être né par PMA soit inscrit sur l’état civil de l’enfant. Une solution qui «fera perdre aux couples hétérosexuels la possibilité de ne pas révéler à leur enfant son mode de conception». Gageons qu’alors les enfants issus de dons seront plus nombreux à vouloir connaitre leur origine.

La question qui se pose maintenant c’est : pourquoi transmettre à l’enfant ses origines ?

La recherche de ses origines est indissociable de la réflexion de tout être humain sur son identité personnelle, c’est-à-dire sur ce qui le constitue en tant qu’individu différencié des autres individus, mais intimement relié à eux. Chaque être humain, à un moment donné et selon un degré d’intensité variable, ressent le besoin de mieux connaître ses origines afin de forger son identité. Il s’agit de s’approprier son histoire, de comprendre son passé, de solidifier ses racines afin de mieux appréhender le présent et l’avenir. Le développement de la psychologie a mis en évidence le rôle considérable que la connaissance des origines joue dans le développement de la personnalité. De nombreuses études ont pu montrer que l’être humain, pour grandir et se développer dans les meilleures conditions possibles, a besoin, dès son enfance, de se situer par rapport à son passé (ses origines au sens large).  Cette quête identitaire peut prendre une dimension toute particulière lorsque les origines sont ombragées. L’existence – ou la suspicion – d’un secret attise le besoin de savoir. Celui qui touche aux origines n’échappe pas à la règle. Quel que soit l’événement originel sur lequel il porte, le secret sur les origines peut générer de réelles souffrances psychologiques et porter une atteinte fondamentale à l’estime de soi. Les enfants ont en effet des antennes particulières pour entendre le non-dit, quand bien même ils ne poseraient pas de questions à la manière des adultes. On comprend ainsi qu’il est crucial de ne jamais cacher aux enfants les secrets relatifs à leurs origines, que le secret porte sur l’héritage biologique, l’adoption, la conception par un tiers, voire la composition familiale, comme par exemple l’existence de demi-frères ou sœurs vivant ailleurs. Le secret doit être levé car les origines de l’enfant, au sens le plus large qui soit, lui appartiennent.

Il faut dire également qu’à la différence de l’enfant adopté, l’enfant né grâce à une technique de procréation médicalement assistée n’a pas été abandonné mais désiré. Sa quête identitaire, par cela d’une nature radicalement différente de celle des enfants adoptés, n’en reste pas moins tout aussi vive et légitime.

Les premiers enfants nés d’un don anonyme, aujourd’hui des adultes, se font entendre. Ils s’expriment, dans les cabinets de professionnels, au sein d’associations, auprès des législateurs, dans la presse et les médias, mais aussi devant les tribunaux. C’est le cas notamment en France où le nombre d’actions visant à faire valoir le droit de connaître ses origines se multiplie. Les témoignages de ces jeunes adultes laissent apparaître un sentiment d’incomplétude, un vide générationnel, une rupture décisive tenant à l’effacement de la transmission de la vie. Ils ont le sentiment que leur histoire personnelle est « amputée », ils ressentent un « trou » dans leur filiation et éprouvent souvent le besoin de se comparer à « quelqu’un comme eux ». Ils peuvent également ressentir un sentiment profond d’injustice et de discrimination, se retrouvant malgré eux, dans la situation d’« orphelin génétique », sans aucun contrôle de la situation. Une partie de leur histoire leur échappe et leur est rendue légalement inaccessible. Leur souffrance est accentuée par le fait que quelqu’un (en l’occurrence une institution) en sait plus sur leur origine, leur intimité, qu’eux-mêmes. Très souvent ces jeunes adultes témoignent d’une part d’ombre qui entrave leur construction identitaire et supportent difficilement de ne pouvoir visualiser leurs ressemblances physiques avec le donneur.  La question de l’apparence physique est ainsi récurrente, de sorte que bon nombre d’entre eux, souhaiteraient simplement disposer d’une photo du donneur, sans nécessairement vouloir connaître son identité ou le rencontrer. La question des autres enfants conçus avec les paillettes de sperme du même donneur est également très fréquente, avec, en toile de fond, la peur d’une rencontre incestueuse. Jamais, toutefois, il n’est question de revendiquer un père ni de changer de parenté : leur « vrai père » est celui qui les a voulus, accueillis, reconnus et élevés.

Aujourd’hui ce n’est pas aux médecins ou au CECOS de décider si le don de sperme doit ou non rester anonyme. Il s’agit d’un choix de société, d’un choix éthique fondamental. Rappelons que les informations non identifiantes relatives au donneur (taille, âge, poids, profession, centres d’intérêts, état de santé,….) ne peuvent être communiquées qu’à la receveuse ou au couple receveur qui en fait la demande ou au médecin traitant de l’enfant, de la receveuse ou du couple receveur, pour autant que la santé de l’enfant l’exige. Force est dès lors de constater qu’en organisant de la sorte la « disparition » du donneur, le droit français confisque délibérément à l’enfant une partie de ses origines. Tout comme l’anonymat absolu de la maternité (en cas d’accouchement sous X), l’anonymat du donneur, confisque délibérément à l’enfant une partie de ses origines. Au nom de quoi ? Certains soutiendront qu’il s’agit avant tout de garantir la paix des familles et de respecter la vie privée des auteurs du projet parental. Il est vrai que d’après les travaux des CECOS, si la majorité des futurs parents ayant eu un enfant après un don de sperme, envisage de l’informer de son mode de conception, la plupart souhaite le maintien de l’anonymat du donneur. Le secret des origines est alors posé comme une garantie de stabilité de la relation ainsi créée. Une étude issue du croisement de la littérature internationale souligne qu’indépendamment des possibilités offertes par la loi (anonymat complet ou levée totale de l’anonymat du don) les couples devenus parents grâce à un don de sperme font d’avantage le choix du maintien du secret auprès de leurs enfants. Ils ignorent ainsi que dans le domaine du psychisme, les économies à court terme coûtent toujours plus cher  à long terme. Le deuil d’un événement traumatique, tel celui de la stérilité dans ce cas précis, ne peut jamais procéder d’un effacement magique qui entretiendrait ici l’illusion que les parents sont les géniteurs de l’enfant. La psychanalyste française Geneviève Delaisi de Parseval souligne ainsi que «le dispositif qui consiste à reconnaître le statut de quelqu’un pour, dans le même temps, l’annuler, met en œuvre un mécanisme psychique pathologique bien connu qui s’appelle le déni. […] L’anonymat accroît ainsi le risque d’évitement de la vérité psychique du don que les parents connaissent et sont, en même temps, invités à méconnaître. En incitant ces derniers à adopter une position qui pérennise l’illusion qu’ils sont les géniteurs alors qu’ils ne le sont pas, la loi devient complice d’une tentative d’annuler la portée symbolique de l’acte procréatif. Le secret conduit à l’annulation psychique d’un élément fondateur ou structurel du lien familial et ses effets pervers peuvent se transmettre de génération en génération», nous dit-elle.

Nous voyons bien là que lorsque la loi joue elle-même le jeu de ce secret en offrant comme modèle aux parents le « camouflage » de la réalité, elle les prive de la possibilité de se délivrer des effets pathologiques de la situation.

Une autre critique récurrente, dès lors que l’on aborde la question d’une éventuelle levée de l’anonymat, tient à la crainte d’une diminution des dons. A ce jour, aucune étude scientifique n’a pu démontrer que les Etats ayant autorisé la levée de l’anonymat du donneur ont dû faire face à une chute des dons à long terme. Je fais, moi, le pari que bien au contraire en offrant une forme de reconnaissance aux donneurs, par une levée de l’anonymat bien encadrée, on augmentera le nombre de ceux qui veulent faire cette démarche altruiste.  

La tendance actuelle en Europe est maintenant à la levée de l’anonymat du don, au nom de l’intérêt de l’enfant, plus particulièrement au nom de son droit d’accéder à ses origines personnelles. Le réel défi dans ce domaine est sans doute de faire évoluer les mentalités pour envisager la reconnaissance d’un lien qui rende compte de la vérité des origines et qui se juxtapose à la filiation juridique, sans menacer celle-ci. Il s’agit de privilégier la complémentarité des statuts et des rôles, afin de valoriser le geste altruiste des donneurs, tout en confortant les receveurs du don comme étant, par définition, les seuls et uniques parents selon la filiation.

Les donneurs et donneuses

Je ne peux conclure sans vous parler de celles et ceux qui donnent ! En France aujourd’hui pour donner son sperme il faut être âgé  de 18 à 45 ans (à partir de 45 ans, la fertilité de l’homme diminue et les risques d’anomalies génétiques augmentent), avoir l’accord de sa compagne si l’homme vit en couple. Cependant face au manque de donneurs la loi de bioéthique de 2011 a ouvert la possibilité du don de gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) aux personnes n’ayant pas procréé. C’est désormais possible depuis la parution des textes d’application de la loi en janvier 2016. Enfin il faut être en bonne santé. Tout concourt, de par la loi mais également dans la société, à ce que le donneur reste ce simple D de l’acronyme I.A.D. J’ai pu moi-même en faire l’expérience. Dire que l’on a fait un don de sperme continue de susciter gêne, étonnement, voire ricanements, de sorte que la plupart des hommes évitent d’en parler. Si vous donnez votre sang, si plus encore vous donnez un rein à un membre de votre famille, vous susciterez la reconnaissance, voire l’admiration. Mais si vous dites avoir donné la vie grâce à une «masturbation altruiste» dans un CECOS, vous ne récolterez le plus souvent qu’un silence gêné ! Le donneur, sans qui rien n’est possible, est rarement, voire jamais associé au débat. On l’a voulu tellement anonyme, qu’il en devient transparent. Alors qui sont ces fantômes ? Pour ce qui est de la France, ces femmes et ces hommes qui donnent sont des individus comme vous et moi ! Après des années d’anonymat, Ils veulent maintenant et de plus en plus, être associés au débat. Plus que de mon témoignage personnel de donneur, j’ai voulu vous faire part de celui de trois hommes représentatifs, qui ont témoigné auprès d’associations d’enfants issus d’une IAD.

Le premier. Je le cite : « En 1974 à l’âge de 31 ans, alors que j’avais déjà deux enfants, le don de sperme m’a été proposé suite à ma demande de vasectomie. Le médecin du CECOS m’a dit qu’il projetait une expérimentation sur une centaine de premiers candidats à la vasectomie. C’était « donnant– donnant » : je donnais alors mon accord pour donner du sperme anonymement en échange de la gratuité de la  vasectomie. Ma motivation : après avoir tout essayé (pilule, diaphragme, stérilet) mon épouse envisageait la ligature des trompes dont le caractère irréversible nous gênait. De plus, ma solidarité avec les mouvements de libération de la femme me poussait à assumer la contraception. La vasectomie, avec mise en réserve, m’a donc paru la bonne solution et je ne le regrette pas du tout. Par la suite, j’ai participé à un groupe qui militait pour la contraception masculine. Mes dons, j’y pense de temps en temps. Je comprendrais fort bien que ceux ou celles qui sont né(e)s grâce à mes dons cherchent à me rencontrer et je l’accepterais volontiers, je ne formule pas de demande mais je crois que cela me ferait plaisir de savoir s’ils me ressemblent un peu et ce qu’ils sont devenus ».

Le second. Je le cite : « En 1984, à la naissance de notre fille, un médecin (ami d’enfance de mon épouse) nous a fait part des difficultés rencontrées par de nombreux couples en attente, depuis plusieurs années, d’un don de sperme. Il nous a invités à engager, en couple, auprès du CECOS une démarche de don désintéressé et anonyme. Cette approche humaniste nous a interpellés, et c’est dans cet esprit que j’ai accepté. Le bonheur apporté par la naissance de notre fille, nous trouvions naturel de permettre à d’autres couples de le vivre. Il ne s’agissait que de produire l’étincelle de vie qui faisait défaut. Le principe de l’anonymat m’a semblé identique à celui du don de sang. Je n’ai pas imaginé à l’époque, à 29 ans, que des conséquences négatives pourraient affecter les enfants issus de ces dons. Le livre d’Arthur Kermalvezen, les actions de l’association PMA, et les états généraux de la bioéthique m’ont fait prendre conscience des conséquences psychologiques parfois graves que certains enfants issus de dons pouvaient subir à l’adolescence puis à l’âge adulte. Je ne regrette pas ma démarche, bien au contraire, et suis tout à fait favorable à la levée de l’anonymat. Je suis persuadé que la loi devra évoluer en ce sens, comme c’est le cas dans de nombreux pays. Une information limpide des anciens et nouveaux donneurs viendra les rassurer quant aux craintes qu’ils pourraient éprouver. Il n’est pas question de reconnaître des enfants, mais tout simplement de les informer sur leurs racines biologiques.
Dès que la loi aura évolué, les nouveaux donneurs devront, au-delà de la générosité de leur don, de l’altruisme et du désintéressement, faire preuve de responsabilité vis à vis des enfants devenus adultes qui voudront accéder à leurs origines. Je ne crois pas à une chute du nombre de donneurs dans la mesure où la loi sera cohérente, limpide et protectrice. Les expériences étrangères le prouvent. J’ai toujours eu à cœur de guider mes enfants vers une vie adulte libre et responsable. J’ose espérer que les enfants nés de dons, par le passé ou à l’avenir, n’auront pas à souffrir d’une origine secrète pour cause d’irresponsabilité ».

Le troisième. Je le cite : « Ma décision de faire un don de sperme a été prise en accord avec mon épouse, à la demande d’un couple ami (cela permet d’accélérer la procédure pour le couple receveur, mais il reçoit le sperme d’un inconnu et non de l’ami). Mon épouse ne partage pas mon souhait de m’engager pour la levée de l’anonymat. J’ai beaucoup réfléchi. Je pense que si cette personne souhaite avoir accès à l’information sur ses origines, je dois assumer mon geste et répondre à cette attente. Ma conviction est totale mais je suis peiné d’agir en désaccord et à l’insu de mon épouse. Je pense aussi qu’il faudrait que j’en parle à mes deux fils ? La situation me semble d’autant plus compliquée que chez le couple ami un garçon est né qui a aujourd’hui 31 ans et qui ne sait toujours pas qu’il n’est pas le fils biologique de son père. A force d’attendre le bon moment pour lui dire la vérité, ses parents n’ont jamais dit cette vérité. J’en suis sincèrement désolé. D’autant plus que ce garçon ne va pas toujours bien psychologiquement. Ma décision implique quand même des gens qui ne le souhaitent pas. Je suis grand-père d’un petit fils de 2 ans et deux naissances sont attendues en mars et en juillet. Ces naissances rapprochent les générations et je comprends l’éventuel souhait d’un jeune parent de tout connaître de ses origines. Cette nouvelle situation me conforte dans ma détermination. Je suis convaincu que l’anonymat sera levé un jour. Je ne sais pas quand. J’ai 65 ans et je suis en bonne santé. J’ai des chances de vivre ce jour-là. J’entends m’y préparer. Comprenez bien que je ne cherche absolument pas à connaître la personne née de ce don. Je fais confiance aux parents qui ont désiré cet enfant et qui l’ont élevé. Je suis seulement disposé à répondre à une demande si elle se manifeste ».

Personnellement je suis en accord avec ces témoignages. Ils ressemblent à mon expérience et à ce que j’éprouve aujourd’hui. J’ai fait ce don, ayant été sensibilisé par mon épouse qui avait une collègue qui tentait d’avoir un enfant par IAD. Bien briefé par le médecin du CECOS, j’ai fait le deuil des enfants qui en seraient issus. Bien des années plus tard en lisant les témoignages d’enfants issus de dons j’ai culpabilisé au point de douter de la pertinence d’avoir fait ce geste. Aujourd’hui je reste heureux d’avoir aidé des couples à obtenir cet enfant tant désiré ! Je n’ai pris aucune initiative afin qu’ils puissent un jour me rencontrer, mais si cela doit arriver, je ne me défilerai point. Reste à savoir que faire : leur fournir des informations ou les rencontrer ? Avec mon épouse nous avons deux filles et trois petits enfants, bien que mes filles connaissent ma démarche, je ne sais comment elles réagiraient à l’arrivée de demi-frères et demi-sœurs? J’ai moi-même peur d’un risque de transfert d’affection que je ne pourrais gérer ! Pour autant je suis persuadé que tout enfant qui en ressent le besoin – il ne saurait en effet y avoir d’obligation de connaître ses origines – devrait pouvoir découvrir d’où il vient, qui sont ses parents de naissance, quelle est son histoire.  

CONCLUSION

L’amour de parents adoptifs, de parents qui ont eu recours au don de gamètes, d’une mère célibataire, aussi grand qu’il soit, ne pourra jamais combler le besoin de comprendre d’où nous venons. C’est une condition essentielle pour savoir qui nous sommes, panser les blessures ou fractures qui nous habitent à l’intérieur. Nos origines font partie de nous, elles nous construisent et s’intègrent à notre identité. Tout enfant qui en ressent le besoin devrait dès lors pouvoir découvrir d’où il vient, qui sont ses parents de naissance, quelle est son histoire.  L’enfant porte en son corps la marque de la rencontre d’un homme et d’une femme et la pluralité de ce corps s’accentue lorsque parents et géniteurs sont différents. L’intérêt de l’enfant commande alors de donner à chacun son dû. Lorsqu’existe une dissociation entre la filiation juridique et les origines génétiques de l’enfant, la norme doit pouvoir aménager la coexistence de ces deux dimensions fondatrices de l’individu. Car si le respect de la dignité humaine implique nécessairement de ne pas réduire la personne à son origine génétique, pareille réduction emportant une négation d’une partie de son identité, il n’est pas plus acceptable d’évacuer complètement la dimension corporelle de l’être humain. Il nous paraît dès lors crucial que le législateur fasse le maximum pour progresser vers la reconnaissance et l’application du droit de chacun à connaître ses origines. Accéder à ses origines, pour une personne, signifie être capable, si elle le désire, de se réapproprier son histoire et celle de ses proches, pour donner sens à sa vie. Transmettre l’histoire de ses origines à un enfant incombe en premier lieu à sa famille. Non seulement elle est le lieu originel mais elle sera également celui des premières paroles qu’il pourra entendre sur ses origines. La commission parlementaire a proposé que demain la loi oblige à ce que le fait d’être né par PMA soit inscrit sur l’état civil de l’enfant. J’avoue être assez réservé sur cette proposition qui méritera si elle passe, que la loi soit rédigée de telle sorte que l’enfant n’ait pas le sentiment d’être ainsi stigmatisé ! Il me semble également important que l’histoire de sa conception soit transmise à l’enfant par ses parents et cela dès le début de sa vie. Le législateur et l’administration devront faire en sorte que demain  chaque parent confronté à cette question, puisse trouver à sa façon et avec ses ressources (quitte à ce qu’une aide leur soit proposée), une parole qui permettra à l’enfant de se réapproprier l’histoire familiale, et de se dégager de l’enfermement et du carcan dans lesquels le secret l’aurait éventuellement plongé. Transmettre à l’enfant un récit sur ses origines, avec tact et délicatesse, dans le souci du respect de son intérêt et de son bien-être, est avant tout un acte d’amour. Enfin souhaitons que la quête des origines, si importante soit-elle pour la construction de l’identité, n’en devienne pas pour autant survalorisée. Car si les origines d’un individu font partie de son identité, et à ce titre elles doivent lui être restituées, le commencement de la vie appelle nécessairement la suite de la vie. S’il peut s’avérer crucial de partir à la recherche de son passé, de ses racines, de son histoire, il est tout aussi capital de parvenir ensuite à s’en détacher pour mieux avancer aujourd’hui et demain.

Toute personne est issue de la rencontre d’autres personnes, mais est aussi acteur de son histoire. La recherche de ses origines ne doit, dès lors, jamais être la fin du voyage.

20/02/2019

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