La Franc-Maçonnerie est attachée, par sa constitution, à un respect total de la liberté de conscience. Elle a inspiré de grands combats : la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’État ou plus récemment la loi Picard de 2001 sur les dérives sectaires. Cet article, en utilisant les outils législatifs et conceptuels à disposition, propose de répondre à la question suivante : Comment les principes de la Franc-Maçonnerie contribuent-ils à la lutte contre l’altération de la liberté de conscience ? Nous tenterons dans une première partie de définir la liberté de conscience pour ensuite évoquer les facteurs qui peuvent l’altérer. Nous terminerons par le rôle de la Franc-Maçonnerie et le principe de liberté absolue de conscience. I – Définir la liberté de conscience Si le concept de liberté de conscience était simple à appréhender au XIXème siècle, Sigmund Freud, les neurosciences et les sciences sociales nous ont ensuite rappelé que nous sommes les objets de déterminismes qui nous échappent mais auxquels nous n’échappons pas. Henri Tajfel est un psychosociologue qui a travaillé sur le concept des identités sociales. Il explique qu’un individu appartient à plusieurs groupes sociaux.
Cette appartenance peut être le fruit d’une démarche volontaire, tout comme elle peut être une situation subie. L’individu peut être assigné à une identité sociale par le reste de la société. Dans les deux cas, l’individu à tendance à favoriser les groupes sociaux dans lesquels il se reconnaît ou dans lesquels on l’assigne. L’individu tend à accorder prioritairement sa confiance à ces groupes, au détriment des autres. Dans le même ordre d’idées, l’apport freudien pose la question de la liberté de conscience en creux : comment parler de liberté de conscience alors que la conscience ne détermine que très peu de nos choix. La liberté de conscience est un idéal dont les contours deviennent flous à mesure que l’on s’y intéresse. Baruch Spinoza résume la question :la liberté n’est que l’ignorance des causes qui nous déterminent. Pour Jean-Paul Sartre, l’individu, à la défaveur d’événements critiques, peut se dépouiller de ses déterminismes. Retenons, dans le cadre de cet exposé, que la liberté de conscience est la pratique d’un jugement qui doit s’exercer avec le moins de contraintes possible. II – L’emprise Les dérives sectaires sont simples à cerner grâce à la Loi Picard qui pose de manière claire et cohérente les critères constitutifs de la notion d’emprise. « Art. 223-15-2. – Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. » La loi Picard, en caractérisant l’emprise plutôt que le groupe sectaire, offre un outil qui permet d’étendre la notion d’emprise à des systèmes non sectaires dans leur forme mais sectaire dans leur finalité. Le mécanisme consiste à réaliser une coupure entre le sujet et son environnement. Le système d’emprise devient un groupe social exclusif et les autres groupes deviennent des concurrents. Cette coupure, qui peut s’accompagner de privations diverses ayant pour but de casser la volonté de l’individu, aboutit à une prise de contrôle. Quand le sujet ne reconnait plus que le système d’emprise comme groupe de référence, en excluant tous les autres, la rupture est réalisée. Le mécanisme d’emprise peut être présent dans une relation interpersonnelle mais nous limiterons notre réflexion aux systèmes organisés : – Une secte possède une dimension eschatologique spécifique qui la distingue nettement d’une religion. Dans un mouvement sectaire, la résolution eschatologique ne se situe pas dans un futur relevant du mythe. Elle se déroulera du vivant des adeptes. La situation est à un stade de gravité tel qu’elle échappe à l’action humaine et nécessite une intervention surnaturelle. Dans ce cadre, un sujet en situation de vulnérabilité tombera sous l’emprise d’un gourou. – Un système n’a pas besoin d’être structuré comme une secte pour relever du principe d’emprise et c’est justement toute l’intelligence de la loi Picard. Des charlatans opérants dans le domaine du développement personnel et des médecines dites alternatives sont par nature en contact avec des personnes en état de vulnérabilité tel que décrit dans la loi Picard. Dans ce cadre, la notion de consentement éclairé est difficile à cerner. Elle est, au minimum, biaisée par la rencontre d’une vulnérabilité et d’une volonté d’emprise. S’il existe des médecines alternatives, il n’existe pas d’alternative à la médecine. La médecine est une science qui applique la méthode scientifique de Claude Bernard : Observation – Hypothèse – Expérience – Résultat – Interprétation – Conclusion. La médecine ne peut pas tout mais la fausse science ne peut rien. Aux demandes légitimes, celle-ci offre l’escroquerie. A la logique, elle oppose la pensée magique. – Le conspirationnisme est plus difficile à cerner que les deux catégories précédentes. Il consiste, par un syllogisme de départ, à nier un fait ou encore proposer un fait invérifiable en partant du principe que toute information contraire est l’expression d’un complot. Dans le conspirationnisme, l’emprise n’est pas l’œuvre d’une personne mais relève plutôt d’un système débilitant qui, ensuite, permettra à des groupes d’exercer un contrôle. La pensée conspirationniste se développe sur le terreau favorable des algorithmes. Une bulle de filtres est un environnement créé par les recherches d’un sujet et la rencontre d’un algorithme qui tend à mettre en avant les thèmes déjà consultés. Le sujet se trouve confronté à des propositions de contenus qui tournent toutes autour de ses centres d’intérêt qui se trouvent surreprésentés. La chambre d’écho fonctionne sur un mécanisme assez proche. L’algorithme propose en priorité des opinions conformes à celles déjà partagées par le sujet. Nous avons vu plus haut que l’altération de la liberté de conscience relève d’une démarche qui vise à réduire les capacités de choix d’un individu à des fins de contrôle. Dans le cas des algorithmes, C’est le biais de confirmation qui – associé au biais de représentativité (Henri Tajfel et les identités sociales) – entraine un fonctionnement en vase clos. L’emprise est donc le mécanisme de rupture qui aboutit, sous des formes diverses, à l’altération de la liberté de conscience. L’altération de la liberté de conscience est la victoire du système d’emprise sur l’individu qui n’a plus besoin d’un système de contrainte extérieur. Les normes sont intégrées par l’individu III – De la Franc-Maçonnerie Le contexte historique des débuts de la Franc-Maçonnerie est essentiel pour comprendre les valeurs fondamentales qui sont les nôtres. Les Lumières posent comme acte fondateur le refus du despotisme et du fanatisme. À la monarchie absolue, elles opposent la République (sous des formes variées). À l’intolérance religieuse : la liberté de conscience. Dans les deux cas, les Lumières promeuvent l’accès à la connaissance et la formation de l’esprit critique. Pierre Chevallier parle d’ailleurs « d’Église de la République » dans le deuxième tome de son Histoire de la Franc-Maçonnerie. La liberté et la laïcité ne sont pas des principes abstraits. Elles servent de ciment au vivre ensemble et évitent le morcellement des sociétés en groupes antagonistes. Ce sont des droits fondamentaux qui sont protégés par la Déclaration universelle des droits de l’homme et par de nombreuses constitutions nationales. Si la liberté de conscience pure est un concept, la Franc- Maçonnerie pose de manière pratique ce qui peut l’altérer. Depuis 1877, le Grand Orient De France a inscrit la liberté absolue de conscience dans sa constitution. Cette décision se traduit par l’exclusion des dogmes aux portes du Temple. Chaque frère et sœur est libre de ses croyances mais celles-ci ne constituent pas des bases pour le travail en loge. Les principes historiques de notre institution relèvent également l’importance de la dignité humaine dont l’altération de la liberté de conscience – qui peut se traduire par une forme organisée d’abus de faiblesse – en est une remise en cause. La constitution maçonnique, comme celle de notre République, repose sur la division des trois pouvoirs. Dans une dérive sectaire, le législatif, le judiciaire et l’exécutif sont dans les mains d’une seule personne. Le principe de système d’emprise et son corolaire, l’altération de la liberté de conscience sont donc en opposition avec nos valeurs. En défendant la laïcité, la Franc-maçonnerie défend le vivre-ensemble. En protégeant la dignité humaine, elle protège l’individu des systèmes qui veulent l’asservir. Le travail en loge est l’exercice de ces valeurs. Les lois de 1905 (sur la séparation des églises et de l’État) et de 2001 (sur les dérives sectaires) en sont l’expression dans le monde profane. Dans un système d’emprise, il n’y a ni construction ni échange, seulement une force de coercition qui plie un individu. La Franc- maçonnerie réunit ce qui est épars. Alors que les systèmes d’emprise divisent en groupes concurrents et incompatibles. Le travail en loge m’a permis d’aborder cette question sous des aspects que je n’aurais pas envisagés dans un autre cadre. Et ce grâce à l’aide des frères et sœurs. Également par l’assimilation progressive d’outils symboliques qui me permettent de lier plus facilement des objets de disciplines diverses. Ce texte permettra peut-être d’apporter une réflexion sur les lignes, chacun avec notre passé et notre sensibilité, que nous estimons inviolables. Il est bon de savoir où nous plaçons le curseur. Résumé : L’emprise est le mécanisme de rupture qui aboutit, sous des formes diverses, à l’altération de la liberté de conscience. La Franc- maçonnerie est de par sa constitution, attachée à la défense et à l’exercice de la libre conscience qui se traduit par le travail en loge et par son activité dans le monde profane.