Vers l’infini et au-delà… ou la passion d’Icare

J’aurais aimé ce soir vous parler de Dédale, l’inventeur du labyrinthe, des statues qui bougent, de la vache de bois qui trompa Poséidon, et de beaucoup d’autres gadgets technologiques, Dédale (qui signifie « ingénieux »), le technicien qui est aujourd’hui mis à l’honneur dans la vie pratique.

J’aurais aimé vous parler du fil d’Ariane, de Minos, de Thésée et de Cnossos, noms rattachés aux labyrinthes depuis la plus haute Antiquité en essayant de ne pas en faire une sorte de copié-collé de Wikipédia…

J’aurais aimé vous parler aussi des labyrinthes dans lesquels nous nous enfermons pour ne pas affronter nos propres démons…

J’ai choisi ce soir de faire un clin d’œil à Icare, ce jeune homme remarquablement décrit par Luc Bigé qui, muni d’ailes fabriquées par son père Dédale, s’éleva dans l’azur, hors du labyrinthe où il était enfermé et monta, monta, monta, enthousiaste et fragile, hanté par ce fol espoir de sortir du Labyrinthe, d’atteindre le soleil, ce drôle de petit bonhomme qui s’était laissé dépasser par les évènements lors de son vol.

Il y a quelques années de ça, nous sommes en 1982, je regardais, par la fenêtre de ma chambre, les mouettes qui planaient dans les airs, sans bouger une aile.

En fait, si je les regardais tant, je crois que quelque part je les haïssais. Elles étaient libres. Elles volaient. Et moi, coincé sur ce lit d’hôpital, à la suite d’une chute dans un escalier le 6 janvier 1982, j’apprenais que je ne marcherai plus.

Alors j’ai fait le rêve fou de voler.

Icare a toujours été l’incarnation du désir d’une certaine élévation spirituelle ou simplement d’un voyage initiatique.

Un an passe, je sors de l’hôpital et un ami vient me chercher. Avec un petit sourire, il m’emmène « à la campagne ». La route passe près de ces grandes pompes d’acier qui ressemblent à des poules qui picorent… Les pompes à pétrole, pas loin de Brie-Comte-Robert et de son univers impitoyable, et nous arrivons sur un aérodrome à Nangis où quelques hangars se disputent l’espace.

Mon copain me présente un drôle de gars qui nous conduit vers une drôle de machine, sorte de tondeuse à gazon avec un parasol au-dessus. Un ULM. J’en avais entendu parler, mais j’en voyais un pour la première fois.

Alain, Inventeur ingénieux comme Dédale, le propriétaire de l’objet volant identifié prend une vielle chambre à air, en découpe deux élastiques larges et, après m’avoir aidé à m’installer sur le siège avant, attache mes deux jambes inertes sur les cale-pieds avec ces fixations improvisées.

Le moteur démarre et je tiens la commande, la barre du trapèze collée contre moi. J’ai bien suivi les explications d’Alain et quand je repousse doucement le trapèze, la magie opère et les roues ne touchent plus le sol.

Je vole !

Alors que j’effectue des virages à droite et à gauche, comme en moto en fait, en penchant, j’entends un gros fracas… suivi seulement du silence du vent… qu’interrompt la voix d’Alain :

« Ça va ? Garde ta vitesse… Tu vois le terrain à gauche on y va… Ne penche pas trop … Ah oui le bruit… on a perdu l’hélice… Bon on va se poser … doucement… on n’est pas pressé de descendre… Tu veux garder les commandes…ok »

Ah les mouettes que je voyais de ma fenêtre… Elles peuvent rester où elles sont !

J’ai bien suivi les instructions, j’ai posé la machine en refusant le sol jusqu’à la dernière seconde. Je refuse le sol, je refuse…

Mon ami nous rejoint, avec le fauteuil roulant… Ah oui, c’est vrai… Je suis en fauteuil roulant. J’avais oublié, l’espace d’un instant…

Si Icare c’est le vol suivi de la chute, c’est aussi l’occasion d’admettre sa condition d’homme plus lourd que son rêve…

Icare est la figure symbolique de l’aspiration des hommes à s’élever comme les oiseaux dans les airs, à s’y déplacer sans souffrir de la pesanteur, à s’affranchir des liens terrestres…

Il est aussi par-là un avertissement contre l’orgueil humain. Il fut la personnification de l’imprudence, de l’ivresse de la découverte, de la démesure, alliées à la désobéissance aux ordres de son père. Mais il est également le symbole de la témérité et du courage.

Le roi Minos, le Taureau blanc et la concupiscence de la reine, le terrible Minotaure, le labyrinthe palais-prison, l’envol puis la chute d’Icare forment une séquence symbolique, une inexorable chaîne d’événements qui décrivent assez bien notre histoire occidentale sous l’angle de son acharnement à produire.

Notre civilisation offre moult savoirs, des routes complexes, des flux financiers aux chemins sinueux et des échanges de marchandises croissants jour après jour. La toute puissance de banques comme Goldman & Sachs, les réseaux inextricables des relationnels imbriqués les uns avec les autres, et même le plan du métro rappelle la forme du labyrinthe, symbole de l’errance croissante de l’homme occidental structuré autour du métro-boulot-dodo, au final des allers et retours, dans des culs-de-sac, sans cesse reproduits.

Les représentations, les biens de consommation, la monnaie, la bureaucratie, les relations, les carrières et les parcours de vie dessinent les méandres alambiqués du labyrinthe.

Pour échapper à ces chemins biscornus le mythe d’Icare nous rappelle trois solutions dans l’infini des possibles : l’amour (Thésée et Ariane), l’exploration à l’intérieur de soi d’où naîtra la conscience du sacré (rappelons-nous de l’acronyme VITRIOL) et, pour ceux qui choisissent les voies de la conscience, l’envol vers le soleil de la vérité : la voie ascensionnelle, celle choisie par Icare.

Oui mais … Apprendre à voler après la chute c’est réaliser une utopie, un rêve, dépasser, se dépasser, outrepasser, franchir, déborder, transgresser sa condition, pour tenter de l’améliorer.

Apprendre à voler, ça a été pour moi, je crois, redonner leur valeur réelle aux choses.

Transmettre cette passion, c’est peut-être accepter de n’être qu’un maillon modeste d’une chaine infinie … c’est peut-être accepter de tenter d’esquisser d’enrichir un tant soit peu cette chaine … c’est peut-être accepter d’être aussi un vecteur de « quelque chose  » hors du temps mais dans un espace à 3 dimensions…

Qu’avait-il manqué à Icare pour construire son idéal si ce n’est de vraies ailes comme celles de Pégase. Et dans sa surprenante spontanéité le mythe nous offre leur secret car de réelles ailes auraient été parfaites. Des ailes « sans cire ». Le latin sin cera prépare sincera : « sincère ».

S’il y a une réponse au mythe d’Icare, c’est la sincérité. L’ingénuité, la candeur sont pour ceux qui pressentent l’utilité d’un renouveau, mais qui n’ont pas encore ressenti le besoin de leurs ailes.

La sincérité commence par soi-même. Est-ce que mon besoin d’échapper au monde complexe où je vis est une fuite pour donner suite au cri, au fond de mon cœur, qui hurle « dépêche-toi ta vie est courte » ?

La sincérité ce n’est pas obéir aux dits d’un guide spirituel ou philosophique. La raison se méfie de toutes les échappées-belle idéalistes. Les esprits craintifs et trop circonspects sont légions et leur fonction est de contenir la raison du système dominant. Mais Icare est trop séduit par ses propres espérances pour s’y soumettre.

La sincérité ne consiste pas non plus à rester à l’état d’embryon. S’envoler c’est aussi avoir le courage de quitter la sécurité relative du ventre de la mère.

Je ne peux pas vous parler de la passion d’Icare sans faire allusion à un autre rêve qui s’appelle « rêves de gosse ».

Le rêve ordinaire d’Icare s’est transformé en une expérience extraordinaire. Quand vous irez sur Internet, cherchez le site de notre association : http://envole.moi.free.fr et visionnez le film de notre aventure…

Pour terminer, je dirai simplement que si le big bang a eu lieu il y a 13 milliards et 800 millions d’années pour permettre l’évolution telle que nous la connaissons, mon big bang personnel a eu lieu en janvier 1982 il y a 37 ans, ce 3 et ce 7 ne sont que les limites de mon infini précédent qui s’est arrêté à cette date. Buzz l’éclair dirait « Vers l’infini et au-delà » et en vous rejoignant toutes et tous dans la Franc-maçonnerie je suis déjà dans cet au-delà des limites de mon précédent infini.

Photo by Cameron Kirby on Unsplash