Est-il nécessaire d’aborder le fait religieux au sein de l’école laïque et républicaine ?

La question porte sur la « nécessité » de cet enseignement.
Au même titre que les mathématiques ou le Français, faut-il promouvoir l’enseignement du fait religieux aux programmes des écoles, collèges et lycées ?
Mais pourquoi se pose-t-on cette question maintenant alors que l’enseignement du fait religieux est déjà dans les programmes ? Faudrait-il y renoncer à cause de la montée des communautarismes et de sa récupération politique ?

Nous allons dans un premier temps aborder le rôle que doit jouer l’école. Ensuite il nous faudra préciser ce qu’on entend par « fait religieux », puis nous analyserons la pertinence de cette question sachant qu’il existe déjà un enseignement du fait religieux. Et enfin nous réfléchirons au contenu de cet enseignement et à ses méthodes.

Quel est le rôle de l’école dans une république laïque ?
L’école publique a pour mission d’inculquer des valeurs et principes républicains.
Elle doit aussi susciter la curiosité ainsi que l’épanouissement personnel. Elle doit permettre l’émergence d’un questionnement ou d’une inquiétude qui arrachent l’enfant ou l’adolescent au confort d’une seule vision acquise la plupart du temps dans sa famille. Elle doit introduire de la divergence et de la dissonance, et préparer à la coexistence et à la tolérance. Cela peut ressembler à une « pédagogie du conflit » à la fois entre les individus mais aussi en chacun. Pour éviter cela, le jeune doit apprendre à s’affranchir des atavismes et des conflits identitaires, ferments de l’intolérance et du racisme. Il doit s’efforcer de laisser ses appartenances ethniques ou religieuses en dehors de la classe.
L’école républicaine doit permettre l’émancipation de l’élève et l’aider à penser par « soi-même ».

Quelle est la différence entre « religion » et « fait religieux » ?
La « religion » comme croyance ou culte n’a pas à être enseignée en tant que telle au sein de l’école laïque. Son enseignement serait contraire aux principes qui régissent la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat.
En revanche, le « fait religieux » est un fait observable et vérifiable, relatif aux religions comprises comme des activités humaines qui s’inscrivent dans un espace, une organisation et une histoire. Il a toute sa place dans l’enseignement de l’école.
Isabelle Saint-Martin précise une claire distinction entre le religieux comme objet de culte et le religieux comme objet de culture.
Régis Debray dans son rapport de Février 2002 écrit : « Le temps paraît maintenant venu du passage d’une laïcité d’incompétence (le religieux, par construction, ne nous regarde pas) à une laïcité d’intelligence »
D’après le rapport de Pauline Dubois, le fait religieux possède une dimension laïque. Parce qu’il est précisément un fait de notre histoire et de notre civilisation, mais également de toute l’humanité, il peut être étudié et enseigné dans l’école républicaine.

Se demander s’il est nécessaire d’aborder le fait religieux au sein de l’école laïque et républicaine est néanmoins surprenant.
En effet, selon les Instructions officielles de 2002, l’enseignement du fait religieux est intégré dans les programmes scolaires comme un « élément de la culture commune ». Depuis 2006, il a sa place dans le socle commun de connaissances et de compétences.
Il est actuellement abordé au sein de l’école laïque et républicaine. Il est apparu dans les programmes d’histoire et de lettres en 1996. Le livret sur la laïcité de Décembre 2016 a rappelé les principes fondamentaux de la laïcité en support de cet enseignement. Ce livret a été complété et précisé dans son application pratique par le Vade-mecum de Jean-Michel Blanquer en 2018. Ce dernier document fait un point particulier à la page 36 sur l’enseignement des faits religieux. Le traitement du fait religieux est donc largement prévu par les textes officiels.
Aujourd’hui nous vivons une période assez singulière où l’affirmation des cultes se fait de plus en plus sentir dans notre société. Or la République Française est basée sur des valeurs dont la Laïcité est le ciment.
Des volontés de remise en cause de la laïcité se font connaître, souvent à des fins de stratégies politiques. Devant ce constat qui génère un climat délétère, la solution que nous préconisons est l’apaisement par la rencontre et l’échange afin de faciliter la connaissance de l’autre et finalement la tolérance des différences. Il n’est donc pas question de renoncer à l’enseignement du fait religieux, au contraire !

La question devrait donc être reformulée comme ceci : « Faut-il revoir et développer l’enseignement du fait religieux au sein de l’école laïque et républicaine ? Si oui, comment ? « 
Nous pensons que cette enseignement est nécessaire et doit être intégré dans les programmes à partir du CM1 jusqu’à la terminale. Le vivre ensemble enseigné très tôt à l’école sera l’occasion d’aborder ce sujet.
Le rapport Debray en février 2002 a insisté « sur la nécessité de les prendre en compte également dans les cours de langues, de sciences sociales, de philosophie (notion de religion) ou les disciplines scientifiques en croisant avec l’histoire des sciences, et désormais avec l’histoire des arts, puis certains aspects avec l’enseignement moral et civique »
Pour mieux répondre à la question, il est nécessaire d’étudier en profondeur ce qui se fait aujourd’hui dans la réalité du terrain éducatif scolaire afin d’identifier les difficultés actuelles et faire des recommandations. Ce qui demande une enquête approfondie auprès des établissements. Néanmoins nous pouvons dégager quelques idées centrales afin que l’enseignement du fait religieux à l’école soit plus efficace.
En deçà du fait religieux, on doit éveiller l’esprit critique chez les élèves. De même qu’on doit les conduire à distinguer la pensée scientifique de la pensée magique. On doit leur montrer quelle est la part des mythes et celle des faits réels.
Il y a une dimension historique du fait religieux : la culture en Europe est intrinsèquement liée à l’histoire du christianisme et du judaïsme. Le poids des traditions reste fort. Enseigner le fait religieux dans le cadre de l’histoire des religions permet de mettre en miroir l’évolution des mentalités humaines. Enseigner au lycée – dans le cadre de l’enseignement de la philosophie – les influences que les penseurs ont produites sur les religions permet de prendre du recul vis-à-vis des textes et de les interpréter avec plus d’esprit critique. Cet enseignement doit porter sur un large spectre de spiritualités allant de l’athéisme aux religions poly- et monothéistes.

Ces propositions ne doivent pas éluder le fait que de nombreux enseignants rencontrent des difficultés face à des élèves endoctrinés. Et pas seulement sur le sujet du fait religieux mais aussi celui de la science ou de l’histoire. Selon les établissements dans lesquels ils exercent, ils peuvent se heurter à des blocages allant jusqu’à l’impossibilité d’enseigner. On doit déplorer qu’ils ne soient pas systématiquement soutenus par leur hiérarchie. Les conflits et débats provoqués par cet enseignement renforcent l’idée que celui-ci est absolument fondamental d’un point de vue culturel, mais aussi d’un point de vue social.
Un tel enseignement doit respecter la liberté de conscience et de religion. Il doit reconnaitre l’égalité de tous les élèves et les conduire à l’acceptation de la croyance des autres. Il doit aborder les phénomènes religieux et les courants de pensées séculières présents dans le monde dans leur richesse et leur complexité. Il doit utiliser les perspectives des sciences humaines et sociales. Il doit préparer les élèves à vivre dans une société marquée par le pluralisme idéologique, culturel et religieux en tenant compte de leur développement cognitif, de leurs contextes de vie et de la diversité de leurs intérêts. Il ne doit pas oublier d’insister sur l’égalité entre les hommes et les femmes.
La laïcité favorise l’expression de la foi sans rivalité entre croyances. Elle garantit la tolérance entre croyants, athées ou agnostiques. Il est donc important qu’on associe l’enseignement de la laïcité à l’enseignement du fait religieux.

Image par Wokandapix de Pixabay

En conclusion nous pensons que pour améliorer l’enseignement du fait religieux à l’école, il est important de prendre certaines mesures comme :
1) Améliorer la formation des enseignants.
2) Inviter des enseignants laïques spécialisés à intervenir sur le sujet.
3) Prendre en compte l’avancée des neurosciences en termes de développement de l’esprit critique des élèves.
4) Distiller tout le long du parcours scolaire du primaire à l’Université l’esprit de tolérance et de « laïcité ».
5) Enseigner la laïcité dès l’école primaire.
6) Promouvoir l’universalisme de la loi de 1905 en démystifiant les pratiques religieuses par la visite de lieux de cultes.