L’héritage de Proudhon ou l’économie symbiotique

1er temps : En 2017 j’ai regardé une émission avec Michel Onfray qui présentait un énième livre.

Après la présentation de son dernier opus, le journaliste et aussi historien l’a interrogé sur les élections présidentielles, la candidature de M. Macron et surtout sur l’état de la gauche en France.

Son constat fût intéressant : la sociale démocratie a échoué en France comme en Allemagne, le communisme marxiste de même, émergence et montée du populisme à travers l’Europe de droite comme de gauche, il ne reste plus que l’extrême gauche mais il existe une troisième voie, celle de Proudhon qui se différencie des autres voies car ce n’est pas un parti politique tel qu’on l’entend aujourd’hui en France. La crise profonde que connaissent nos sociétés est patente. Dérèglement écologique, exclusion sociale, exploitation sans limites des ressources naturelles, recherche acharnée et déshumanisante du profit, creusement des inégalités sont au cœur des problématiques contemporaines. Or, partout dans le monde, des hommes et des femmes s’organisent autour d’initiatives originales et innovantes, en vue d’apporter des perspectives nouvelles pour l’avenir.

2ième temps de ma réflexion l’écoute sur RFI d’Isabelle Delannoy (ingénieur agronome, elle dirige l’agence Do green-économie symbiotique) qui présentait son dernier livre : l’économie symbiotique : régénérer la planète, l’économie et la société. Rien que le titre du livre allait tout à fait dans le sens de Michel Onfray.

Mais avant tout pourquoi Michel Onfray citait Proudhon ?

Pierre-Joseph Proudhon, né le 15 janvier 1809 à Besançon dans le Doubs et mort le 19 janvier 1865 à Paris, est un polémiste, journaliste, économiste, philosophe et sociologue français. Précurseur de l’anarchisme, il est le seul théoricien révolutionnaire du XIXe siècle à être issu du milieu ouvrier.

Autodidacte, penseur du socialisme libertaire non étatique, partisan du mutuellisme et du fédéralisme, il est le premier à se réclamer anarchiste en 1840, partisan de l’anarchie, entendue en son sens positif: « La liberté est anarchie, parce qu’elle n’admet pas le gouvernement de la volonté, mais seulement l’autorité de la loi, c’est-à-dire de la nécessité » Le 8 janvier 1847, il est initié franc-maçon à la loge Sincérité, Parfaite Union et Constante Amitié du Grand Orient de France à Besançon.

Lorsque les questions rituelles lui sont posées, il répond : « Que doit l’homme à ses semblables ? Justice à tous les hommes ; Que doit-il à son pays ? Le dévouement ; Que doit-il à Dieu ? Guerre à Dieu ». Une discussion s’ensuit où Proudhon explicite sa position anti théiste. Dans son ouvrage De la justice dans la Révolution et dans l’Église (1858), il s’explique : « Le Dieu des maçons n’est ni Substance, ni Cause, ni Âme, ni Monade, ni Créateur, ni Père, ni Verbe, ni Amour, ni Paraclet, ni Rédempteur, ni Satan, ni rien de ce qui correspond à un concept transcendantal : toute métaphysique est ici écartée. C’est la personnification de l’Équilibre universel : Dieu est l’Architecte ; il tient le Compas, le Niveau, l’Équerre, le Marteau, tous les instruments de travail et de mesure. Dans l’ordre moral, il est la Justice. Voilà toute la théologie maçonnique ».

Je me suis replongé aux théories libertaires de celui-ci : mes souvenirs s’arrêtaient à la fin de la propriété privée. Je vous livre une définition du socialisme libertaire :

Le socialisme libertaire regroupe un ensemble de philosophies politiques qui visent à établir une société libre de toute hiérarchie politique, sociale et économique – une société d’où toute institution coercitive, répressive, autoritaire ou violente soit exclue, et dans laquelle toute personne aurait un accès libre et égal à toutes les ressources d’information et de production – ou encore une société dans laquelle de telles institutions seraient réduites au minimum.

Dwight Macdonald définit ainsi le socialisme libertaire : « une société sans classe et sans État, dans laquelle la production est coopérative, et où aucun individu n’exerce de domination politique ou économique sur un autre », une société qui « serait jugée à l’aune des possibilités qu’elle offre à l’individu de développer ses talents et sa personnalité ».

(Nous pourrions reprendre en partie cette définition pour la Franc maçonnerie : aucun initié n’exerce de domination politique ou économique sur un autre initié, la Franc maçonnerie serait jugée à l’aune des possibilités qu’elle offre à l’initié de développer ses talents et sa personnalité.)

Cette égalité et cette liberté seraient réalisées principalement à travers l’abolition des institutions d’autorité d’une part, et de la propriété privée d’autre part , afin que le contrôle direct des moyens de production soit détenu par l’ensemble de la classe laborieuse.

Le socialisme libertaire prône en cela l’identification, la critique et le démantèlement pratique de toute autorité, conçue comme illégitime dans tous les aspects de la vie sociale. Aussi les socialistes libertaires considèrent-ils que « l’exercice du pouvoir sous quelque forme institutionnelle, qu’elle soit économique, politique, religieuse ou sexuelle – fait autant violence à celui qui l’exerce et celui qui le subit ».

Ce qu’expliquait Michel Onfray par rapport à cette troisième voie ce sont les moyens de production qui sont coopératifs, mutualisés, fédérés et détenus par l’ensemble de la classe laborieuse c’est-à-dire les salariés. Et aussi toute personne aurait un accès libre et égal à toutes les ressources d’information et de production. Cette pensée politique définie par Proudhon au XIXème siècle prend son essor seulement maintenant même si des tentatives ont eu lieu dans certaines régions de France : dans le jura on a vu les premières coopératives agricoles se créer à la fin du XIXème ainsi qu’un système de santé se rapprochant de nos mutuelles. Les hivers durant plus de six mois, les paysans ont réfléchi par la force des choses à mettre en place des principes de solidarité. Dans le nord se sont développées les premières scoops. Aujourd’hui c’est un territoire en perpétuelle réflexion sur ces questions de l’économie sociale et solidaire.

L’économie sociale et solidaire : une solution mais pas unique face au monstre qu’est devenu l’économie ultralibérale. La crise économique et financière que nous traversons principalement depuis 2008, d’amplitude mondiale, a démontré les faillites du modèle capitaliste ultralibéral, pourtant toujours dominant, surtout depuis la chute du monde communiste. Il creuse chaque jour davantage les inégalités, générant d’importants dégâts sociaux et environnementaux. Des solutions existent, des propositions inédites voient le jour aux quatre coins de la planète, souvent à petite échelle, mais toujours dans le but d’initier un véritable mouvement de transformation des sociétés. Ainsi, plus que jamais, une autre économie est possible, celle que les entreprises de l’Economie sociale et solidaire (mutuelles, coopératives, associations) font vivre à travers leurs principes et leurs modes d’organisation. Sociétés de personnes et non de capitaux, leur but premier n’est pas la recherche du profit, mais bien la réalisation de leurs projets : les richesses (économiques, sociales, culturelles, sportives, santé etc.) qu’elles produisent y sont en priorité réinvesties. (Aucune rémunération d’actionnaire). Elles affirment la primauté de la propriété collective de l’entreprise, et conçoivent l’activité économique comme un espace d’émancipation. Enfin, leur fonctionnement, démocratique, repose sur le principe d’égalité « 1 homme = 1 voix ».

En France l’Economie sociale et solidaire représente 3,7% du PIB soit 47 milliards d’euros. 1 543 000 salariés soit 5 % des salariés. Ce qui fait la force de cette économie, ce sont les bénévoles, ils sont 10 à 12 millions en France soit 716 000 équivalent temps plein.

Premiers éléments de preuves que cette troisième voie, l’économie sociale et solidaire existe : c’est principalement le tissu associatif en France qui représente la majorité de cette économie (environ 27 000 associations sur le département des Yvelines)

Cette économie fait partie de l’économie symbiotique :

Nous voyons à travers ces premières définitions ce que peut-être l’économie symbiotique, allons plus loin : le mot économie vient du grec oikos, qui signifie maison, maisonnée et nomos, gestion. L’économie est donc la gestion de la maison et de ses habitants. Symbiotique est l’adjectif du mot symbiose : mot inventé au XIXème siècle signifiant « vivre ensemble » Il décrit l’association étroite et pérenne de deux organismes différents qui trouvent dans leurs différences leurs complémentarités. La croissance de l’un permet la croissance de l’autre et réciproquement. On connait tous l’anémone et le poisson clown. Mais Darwin est passé par là et a basé sa théorie de l’évolution sur la compétition (et toute notre économie depuis la révolution industrielle est basée sur cette théorie de la compétition. C’est seulement depuis quelques dizaines d’années que nous voyons que la symbiose est autant efficace et que le moteur coopératif constitue l’un des acteurs  de l’évolution.

Je citerai Lynn Margulus membre de l’académie des sciences américaine qui a porté la symbiose au rang de phénomène général comme moteur clé de l’évolution. « La vie n’a pas conquis le globe par le combat mais par la mise en réseau »

Après ces quelques définitions je vais vous développer la théorie de cette économie par différents exemples qui me paraissent plus compréhensibles, des exemples que souvent vous connaissez ou dont vous avez profité.

L’économie circulaire : le 1er temps de cette économie a été le tri des déchets afin de valoriser certains de ces déchets (plastiques, verre, papier, fer et aluminium) et de pouvoir les réutiliser dans l’industrie (100% de la valorisation des déchets est prévu vers 2030)

Le constructeur automobile FIAT utilise 30 à 40% des matériaux recyclés dans ses voitures. Ce sont les déchèteries dans les grandes agglomérations qui permettent de trier les encombrants, les produits toxiques, les déchets verts. Souvent sont adossées aux déchèteries des ressourceries (endroit qui donne une seconde vie aux objets : c’est « Emmaüs » par exemple) il existe trois ressourceries dans les Yvelines. Les déchets verts sont transformés en terreau (40 000 tonnes/an) par une entreprise d’insertion (bio Yvelines service) qui emploie 20 salariés BRSA. Le réseau nationale « Envie » récupère l’électroménager, le répare et le revend : Envie sur notre département c’est un million d’euros de chiffre d’affaire et emploie 30 BRSA. L’inquiétude de ce réseau : c’est l’obsolescence programmée de ces appareils. Il faut tendre vers l’écoconception qui est un mode de fabrication de produits dans l’objectif de protéger l’environnement et de conserver les ressources, tout en encourageant le progrès économique, le besoin de durabilité, l’optimisation du cycle de vie de l’objet et la diminution de la pollution et des déchets.

L’intérêt de cette économie outre le réemploi des matériaux c’est l’insertion de public en grande difficulté sociale et professionnelle. Les librairies disparaissent au profit de vente sur internet, 3 librairies solidaires ont été créées sur le 78 chacune triant environ 2 à 3 tonnes de livres par semaine orientés soit à la vente soit au pilon vers une autre structure d’insertion qui travaille sur le papier. Le Relais : association qui récupère les vêtements dans des boîtes que l’on trouve un peu partout sur notre territoire, 3 solutions : la revente dans les friperies, vers des ONG et pour les vêtements non récupérables : ils sont destinés à l’isolation (75 emplois à la clef). Dernier exemple emblématique de notre société : à Caen une entreprise d’insertion s’est créée « Agripain » : elle ramasse le pain invendu dans les grandes surfaces (environ 750 kg par semaine d’invendu par grande surface type carrefour). Cette entreprise traite une tonne de pain par semaine : le trie, le coupe, le sèche et enfin le broie pour en faire une farine destinée à l’alimentation animale : une tonne de pain égale 850kg de farine vendue aux fermes des alentours. (12 emplois ont ainsi été créés). En Allemagne cette farine est mélangée à de la sciure de bois pour le chauffage

L’économie de fonctionnalité ou l’économie de l’accès : c’est vendre l’utilisation plutôt que le bien, de façon à créer des produits durables sans externaliser le coût des risques et des déchets : l’exemple le plus parlant ce sont les photocopieuses, on vend l’utilisation et non la machine qui reste la propriété du fabriquant ce qui permet le recyclage à 85% des matériaux.

APR2 : entreprise adaptée à Bonnières qui emploie 40 personnes porteuses de handicap souvent moteur, reçoit 5 tonnes de produits électroniques par jour (ordinateurs, photocopieuses, distributeurs de billets de banque, téléphones, téléviseurs, etc…). Tous ces appareils sont démontés : les piles sont stockées à part et tout le reste est trié par matière afin d’être revendu. Le fer est envoyé dans une entreprise qui fabrique des fers à béton, les métaux rares vers les fabricants d’électrotechniques, le plastique suivant sa conception est transformé en granulé puis mélangé avec de la sciure de bois pour fabriquer du mobilier urbain. Tout est pesé à l’entrée et tout est pesé à la sortie (aucune perte, tout est recyclé)

A Paris une entreprise loue des voitures (classique me direz-vous ? Pas tout à fait). On adhère via une cotisation à l’entreprise puis on loue son véhicule à l’heure, à la journée, au mois. On a une carte personnelle qui permet d’ouvrir les voitures et de rouler. On la réserve sur internet.

L’information pour tous : libre d’accès et partagée par tous. C’est le concept d’« open » : disponibilité et accès, réutilisation et redistribution et enfin participation universelle. C’est le libre accès aux logiciels gratuitement (open source). C’est le processus d’innovation par lequel l’entreprise s’ouvre à une diversité d’autres acteurs extérieurs (chercheurs, entreprises partenaires, clients, étudiants etc.) c’est la poste qui s’adosse sur une entreprise d’insertion « nouvelle attitude » pour gérer le recyclage du papier et ainsi réalise sa responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). La Sotréma entreprise de ramassage d’ordures ménagères qui travaille en partenariat avec une EI « Aptima » pour la gestion des déchèteries. L’ESSEC qui a créé un groupe de travail avec de grandes entreprises et des étudiants intitulé « emploi et pauvreté ». On y trouve le groupe Renault, la Poste, la Sodexo, Cap Gémini, EDF… Enfin on a « l’open data » : toutes données et tous contenus pouvant être utilisés, modifiés et partagés librement par n’importe qui et pour n’importe quel usage.

Mais pour pouvoir développer cette économie, il faut bien sûr de l’énergie. Une énergie qui se reconstitue plus rapidement que l’homme ne l’utilise et qui peut ainsi être considérée comme inépuisable : elle est d’origine solaire, géothermique, gravitationnelle, biomasse (les énergies renouvelables viennent de dépasser en production les centrales au charbon dans le monde). On voit apparaître des réseaux intelligents c’est-à-dire des réseaux électriques capables d’intégrer efficacement les comportements et actions de tous les utilisateurs qui y sont raccordés et qui sont producteurs et consommateurs : les habitations à énergie positive, les écoconstructions, la mise en réseau de panneaux solaires pour plusieurs habitations.

Les tiers lieux : ce sont des lieux qui, je pense, auraient plu à Proudhon. Ni privés, ni public. Ils composent une solution hybride entre espace personnel et espace ouvert, domicile et travail, convivialité et concentration. Les tiers lieux réunissent un certain nombre de conditions permettant les rencontres informelles et favorisant la créativité des interactions sociales. Du concret : un tiers lieu va voir le jour à Houilles dans la gare : un espace de coworking, (lieu où l’on peut travailler en amenant son ordinateur), un « répare-café » (on peut amener ses petits appareils électriques et apprendre à le réparer dans la convivialité), une crèche parentale, une conciergerie et enfin une AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysane. Il en existe déjà 5 sur les Hauts-de-Seine (92) de formes différentes dans le contenu (on peut y trouver un coiffeur relooking pour les chômeurs qui ont des RDV d’entretien).

Il me resterait à vous parler de l’agro-écologie, de la permaculture qui sont la gestion d’agro-écosystèmes durables en imitant les processus naturels afin d’améliorer l’ensemble de pratiques agricoles et d’obtenir les conditions les plus favorables pour la croissance des végétaux. Je vous renvoie à cet excellent film « Demain » de Mélanie LAURENT. La ville de Détroit anciennement la capitale de l’automobile américaine est aujourd’hui à l’abandon, seuls sont restés les plus pauvres dons une majorité d’afro-américains. Ils ont été obligés de se prendre en main, ne serait-ce que pour se nourrir. Ils ont mis en place l’agro-écologie urbaine et ils produisent des légumes pour 700 000 personnes à l’année dans le cadre d’une économie collaborative.

En conclusion : nous voyons bien que cette économie humaine et symbiotique développe une intelligence collective pour aboutir à une mobilisation effective des compétences. Personne ne sait tout, tout le monde sait quelque chose. Le savoir est dans l’humanité et non dans une entité transcendante qui organiserait sa répartition auprès de la société. Cette intelligence est partout distribuée, partout valorisée et favorise la puissance du groupe  plutôt que le pouvoir de quelques-uns. J’y vois un parallèle évident avec la Franc-maçonnerie qui est ni un parti politique, ni un syndicat, ni une association mais une école initiatique qui favorise cette intelligence collective et nous permet de construire notre temple intérieur afin de tendre vers l’homme universel. Proudhon a été un visionnaire de ce point de vue en essayant d’imaginer une société mutualiste, en réseau où l’information, de fait la formation, soit accessible à tous. Il avait eu cette perception que la révolution industrielle engendrerait une société inégalitaire et surtout violente. Cette 3ième voie se développe à côté de l’économie libérale sans heurt et surtout sans concurrencer celle-ci. Elle est génératrice d’emplois souvent peu qualifiés. Elle n’est pas dé-localisable dans un pays tiers. C’est une économie territoriale où souvent les gens vivent et travaillent dans le même endroit.

Je finirai par cette citation de Pierre TEILHARD de CHARDIN :

Tout, dans l’univers, se fait par union et fécondation, par rassemblement des éléments qui se cherchent, et se fondent deux à deux, et renaissent dans une troisième chose.

Penser autrement l’humain : fondement même de la Franc maçonnerie.