« Si la liberté de conscience est absolue, qu’en est-il de la liberté d’expression ? »

La Liberté de conscience est portée comme le principe clé de la franc-maçonnerie. Elle se développe en Angleterre au XVIII° siècle et les français ne lui adjoindront le caractère « absolu » qu’avec la décision du Grand Orient de France de 1877. On pourra, dès lors, devenir franc-maçon sans croire en Dieu !

De nos jours, la liberté absolue de conscience apparaît de plus en plus comme la valeur à défendre par tous les humanistes. Elle est explicitée dans l’article 18 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »

Dans la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’article 11 précise : tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Dans le but de favoriser au mieux le « vivre ensemble », la liberté d’expression, dans le droit français, est cadrée par les éléments suivants :

  • Limite 1 – Ne pas porter atteinte à la vie privée d’autrui. Mais il n’y aucune définition légale de la vie privée. C’est la jurisprudence qui est chargée de dire ce qui est protégé. Elle inclut : le domicile, l’image, la voix, le fait d’être enceinte, l’état de santé, la vie sentimentale, la correspondance (y compris sur le lieu de travail)… La jurisprudence ne protège pas en revanche contre la divulgation de la situation patrimoniale d’une personne menant une vie publique (tel un dirigeant de grande entreprise), ni sa pratique religieuse… Les faits révélés par les comptes-rendus de débats judiciaires ne sont pas protégés non plus.
  • Limite 2 – Ne pas tenir certains propos interdits par la loi : l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse, l’apologie de crimes de guerre ou du terrorisme, les propos discriminatoires à raison d’orientations sexuelles ou d’un handicap, l’incitation à l’usage de produits stupéfiants, le négationnisme.
  • Limite 3 – Ne pas tenir de propos diffamatoires : la diffamation se définit par toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne.
  • Limite 4 – Ne pas tenir de propos injurieux : l’injure se définit comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait.
  • Limite 5 – Il existe également des limites spécifiques telles que le secret professionnel, le secret des affaires et le secret-défense qui interdisent la publication et la divulgation de certaines informations.
  • Limite 6 – Certaines personnes, en raison de la fonction qu’elles occupent, sont tenues à un « devoir de réserve ». C’est le cas des fonctionnaires qui doivent exprimer leurs opinions de façon prudente et mesurée, de manière à ce que l’extériorisation de leurs opinions, notamment politiques, soit conforme aux intérêts du service public et à la dignité des fonctions occupées. Plus le niveau hiérarchique du fonctionnaire est élevé, plus son obligation de réserve est sévère.

Au terme de cette synthèse, la question que la loge a traitée est : pensons-nous que la liberté d’expression soit trop ou pas assez bridée en France ?

Nous nous sommes tous réjouis de l’abrogation – en 2017 ! – du délit de blasphème dans le code pénal d’Alsace-Moselle en espérant que jamais il ne réapparaisse. On regrette de trouver encore ce délit dans les statuts poussiéreux et dérogatoires de la Guyane et de Mayotte.

Peut-on rire de tout ? Qu’on se souvienne des polémiques à propos des caricatures de Mahomet. Au regard de la Loi, on peut se moquer d’une religion mais il y a un grand danger de dérapage à se moquer des pratiquants de cette religion. Sur un plan plus personnel, nous nous sommes accordés pour apprécier l’humour porté sur soi-même et pour condamner celui qui est dirigé contre de l’autre pour le dénigrer.

En France, les limites à la liberté d’expression sont considérées par certains de nos voisins comme contraignantes. Il semble que nous détenions largement le record du monde de fermetures administratives de sites internet. Néanmoins, il semble exister un manque juridique pour borner la publication de fausses nouvelles, fléau qu’on pourrait considérer comme émergeant si l’histoire ne nous enseignait pas le contraire. Ce qui est nouveau, outre le mot infox, c’est la rapidité et l’universalité de leur diffusion à travers les réseaux sociaux. Il semble que de nombreux hommes politiques aux idées populistes aient bien flairé et utilisé la faille. A cela, seule une pénalisation sévère des hébergeurs et des propagateurs semble pouvoir être opposée. Il est souhaitable de mettre beaucoup plus de moyens dans le développement d’une « police du web ». Pourquoi ne pas proposer la déchéance des droits de candidature aux postes électifs pour les diffuseurs de fausses vérités ?

Des membres de la Loge se sont aussi interrogés sur la nécessité de laisser les haineux s’exprimer « pour au moins savoir ce qu’ils pensent et pouvoir entamer avec eux un débat dans l’espoir d’assouplir leurs positions ». Attitude conforme aux valeurs maçonniques pourvu que l’écoute mutuelle soit respectée, avec – idéalement – une triangulation afin de soulager les tensions.