Le transhumanisme

J’ai choisi de vous parler d’un thème qui n’est pas pour moi qu’un sujet de société important, mais qui me renvoit à une grande partie de mes lectures adolescentes. Isaac Asimov, Ray Bradbury, Philip K Dick, Franck Herbert, Dan Simmons, Peter F. Hamilton, pour ne citer qu’eux, ont toujours eu une bonne place dans ma bibliothèque et ce depuis de nombreuses années. La science-fiction m’a toujours fasciné et fait rêver. Space opera, aliens, pirates de l’espace, pistolets laser et Terra formation ont longtemps peuplé mon imaginaire.

Mais la science-fiction n’est pas qu’un vaste champ de possibilités pour l’imagination. Les auteurs qui ont marqué ce genre littéraire ont toujours su se projeter dans le futur en y intégrant une composante sociale importante. Leurs projections ne sont pas seulement visionnaires sur les technologies qui pourraient être les nôtres dans les années à venir mais également sur les enjeux de société et les problèmes éthiques et moraux liés à ces technologies. Ce n’est pas pour rien qu’un vaste sous-genre de la science-fiction est appelé littérature d’anticipation.

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C’est donc pour cela que j’ai choisi ce soir de vous parler d’un thème actuel mais décrit depuis longtemps dans les romans de science-fiction, le transhumanisme.

A ce point de mon récit, je me dois, avant d’aborder les enjeux moraux et sociétaux de ce transhumanisme, de vous en donner une définition générale.

Le transhumanisme est un mouvement de pensée assez peu connu en France, mais qui est considéré comme riche d’avenir dans les pays anglo-saxons. Si le concept moderne de transhumanisme a été posé pour la première fois dans un ouvrage publié en 1989 par un scientifique américain, Estfandiary : «Are you a transhuman ?», le mouvement en lui-même fut officiellement fondé par deux philosophes enseignant à l’université d’Oxford, Nick Bostrom et David Pearce. Ce mouvement, de nos jours, compte plusieurs milliers de membres, essentiellement des universitaires et des scientifiques de tous horizons. Le transhumanisme pose comme principe directeur que l’espèce humaine n’a pas encore atteint son stade final. D’après les transhumanistes, l’homme a désormais le pouvoir de se transformer lui-même à partir des possibilités nouvelles d’actions offertes par les découvertes récentes en sciences et en technologies. C’est la raison pour laquelle les transhumanistes suivent avec le plus grand intérêt l’évolution de toutes les sciences, de toutes les techniques, mais plus particulièrement celle des sciences dites émergentes, désignées généralement sous le sigle NBIC qui signifie : Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et Sciences Cognitives.

L’Association Transhumaniste Mondiale, dont les membres sont dans leur immense majorité des centristes convaincus des vertus de la démocratie libérale, ont rédigé une  Déclaration transhumaniste en 1999, que voici :

 

L’avenir de l’humanité va être radicalement transformé par la technologie. Nous envisageons la possibilité que l’être humain puisse subir des modifications, tel que son rajeunissement, l’accroissement de son intelligence par des moyens biologiques ou artificiels, la capacité de moduler son propre état psychologique, l’abolition de la souffrance et l’exploration de l’univers.

 On devrait mener des recherches méthodiques pour comprendre ces futurs changements ainsi que leurs conséquences à long terme.

 Les Transhumanistes croient que, en étant généralement ouverts à l’égard des nouvelles techniques et en les adoptant, nous favoriserions leur utilisation à bon escient au lieu d’essayer de les interdire.

 Les Transhumanistes prônent le droit moral, pour ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie. Nous souhaitons nous épanouir en transcendant nos limites biologiques actuelles.

 Pour planifier l’avenir, il est impératif de tenir compte de l’éventualité de ces progrès spectaculaires en matière de techniques. Il serait catastrophique que ces avantages potentiels ne se matérialisent pas à cause de la technophobie ou de prohibitions inutiles. Par ailleurs, il serait tout aussi tragique que la vie intelligente disparaisse à la suite d’une catastrophe ou d’une guerre faisant appel à des techniques de pointe.

 

Le Transhumanisme englobe de nombreux principes de l’humanisme moderne et prône le bien-être de tout ce qui éprouve des sentiments, qu’ils proviennent d’un cerveau humain, artificiel, post-humain ou animal. Le Transhumanisme n’appuie aucun politicien, parti ou programme politique.

 Nous prônons une large liberté de choix quant aux possibilités d’améliorations individuelles. Celles-ci incluent les techniques qui pourraient être développées afin d’améliorer la mémoire, la concentration, l’énergie mentale. Des thérapies permettant d’augmenter la durée de vie, ou d’influencer la reproduction. La cryoconservation, et beaucoup d’autres techniques de modification et d’augmentation de l’espèce humaine.

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J’ai volontairement présenté l’intégralité de cette déclaration car il m’apparait important de bien voir dans son ensemble les principes qui régissent ce courant de pensées.

 

L’humain augmenté n’est pas une notion récente. De tout temps l’être humain a cherché à se servir de la technologie ou de la chimie pour modifier son comportement.

 

Des tablettes gravées datant de 3000 ans av. J.-C suggèrent que les Sumériens connaissaient déjà les effets de l’opium. Au Mexique, à l’époque des conquêtes espagnoles, un grand nombre de plantes furent utilisées pour communiquer avec les dieux par la transe. Des pratiques semblables sont également répandues chez les Indiens d’Amérique du Nord.

 

Dans le monde musulman, le qat est utilisé au Yémen par les religieux dès le 14eme siècle. Il leur permet de lutter contre le sommeil pendant leurs longues nuits de prière. Ce produit, qui ne suscite pas de perte de contrôle physique ou mental, a également la réputation d’augmenter le pouvoir de contemplation et de renforcer la communication avec Dieu.

 

Les amphétamines ont largement été utilisées durant la Seconde Guerre mondiale pour donner de l’énergie, de l’assurance, rendre agressif et faire oublier la fatigue aux combattants.

 

Plus récemment, les médicaments psychotropes sont un des exemples de ces technologies d’augmentation qui ont investi notre quotidien. Destinée à améliorer les capacités cognitives, l’humeur ou la résistance à la douleur, la consommation de ces médicaments a, ces dernières années, augmenté de façon exponentielle, notamment le Valium ou le Prozac.

 

La particularité du transhumanisme, qui prolonge de nos jours cette volonté ininterrompue à travers les âges d’augmenter l’être humain, se situe dans l’utilisation des NBIC que j’ai définies un peu plus tôt : Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et Sciences Cognitives

 

Vous avez sûrement gardé en tête les images du film Robocop, ou encore de la série L’homme qui valait 3 milliards, ces histoires d’humains “abîmés” qui sont réparés grâce à un dispositif mécanique.

 

Depuis une vingtaine d’années, dans les pas des prothèses “intelligentes” conçues par l’armée américaine à destination de ses soldats blessés et amputés, les chercheurs en biotechnologie multiplient les projets. Les bras en cire inertes sont de l’histoire ancienne. Désormais, les personnes amputées portent des membres bioniques, munis d’électrodes, qui peuvent être animés par la pensée.

 

Les exemples ne manquent pas. En 2005, l’américain Jesse Sullivan, qui a perdu ses deux bras à la suite d’une électrocution, teste une prothèse de bras bionique, contrôlée par la pensée. Grâce à elle, il peut accomplir de nombreux gestes de la vie quotidienne.

 

L’italien Pierpaolo Petruzziello a, en 2009, bénéficié d’une main robotique contrôlable par l’esprit. Connectée au système nerveux par des fils et des électrodes implantés dans les nerfs, cette main artificielle lui a permis de saisir des objets, mais aussi de sentir les objets tenus.

 

Claire Lomas, une anglaise paralysée à la suite d’un accident de cheval, a parcouru plus de quarante kilomètres à pied lors du marathon de Londres en 2012, grâce à des jambes bioniques.

 

Les chercheurs et les scientifiques ne se contentent pas de “réparer” notre corps. Ils essaient aussi d’agir sur notre cerveau, de le “stimuler”, d’activer ou d’inhiber certaines de ses zones. Afin, par exemple, de faire disparaître certains symptômes d’une maladie, comme les tremblements de la maladie de Parkinson. Actuellement, plus de 40 000 malades atteints de cette affection portent des implants qui stimulent “en profondeur” leur matière grise. Des électrodes sont implantées dans le cerveau, qui est alors stimulé via les ondes électriques émises.

 

Mais revenons un peu à la science-fiction. Ce qui est extrêmement intéressant dans l’apport que ce genre littéraire peut ouvrir comme piste de réflexion autour de ces technologies, c’est qu’à chaque fois que la science-fiction a évoqué ce thème du transhumanisme, elle évoque à la fois les prouesses technologiques et l’amélioration réelle que l’humanité peut en attendre. Elle parle donc de cette hybridation entre l’homme et la machine mais elle parle de manière quasi systématique du poids que prend la machine sur l’humain ou plus généralement du poids que va prendre le propriétaire de la machine ou le propriétaire des brevets sur les personnes équipées.

 

Le transhumanisme, quand il est évoqué dans la littérature de fiction ou dans le cinéma est effrayant. Dans la littérature de fiction ou dans le cinéma, le transhumanisme, c’est l’eugénisme 2.0.

Pour ceux qui ont eu la chance de le voir, le film Bienvenue à GATACA, c’est du transhumanisme, c’est l’histoire d’une société qui est basée uniquement sur l’amélioration génétique et qui ne laisse pas de place aux humains qui ne seraient pas améliorés. Qui ne laisse aucune place aux humains nés de manière traditionnelle sans recours à la technologie.

 

Si la science-fiction, si les romans de fiction et d’anticipation, si le cinéma qui se sont intéressés à ces sujets voient ces dérives sociétales, il est important d’y réfléchir.

 

J’aimerais également attirer votre attention sur quelques grands noms du transhumanisme : Sergei Brin, Larry Page et Ray Kurzweil. Pour beaucoup, ces noms ne sont pas forcément très connus, et pourtant les deux premiers sont à la tête d’un conglomérat d’entreprises qui a pris une importance grandissante dans notre vie de tous les jours depuis une dizaine d’années.

 

Sergei Brin et Larry Page sont les cofondateurs de Google, transhumanistes convaincus et soutiens financiers majeurs du mouvement, ils ont créé en 2013 Calico, une société de biotechnologies dans le complexe secret Google X Lab, avec le but avoué de se concentrer sur le défi de la lutte contre le vieillissement et les maladies associées. Leur projet ? Tuer la mort.

 

Il est important de savoir que depuis quelques années, Google est devenu l’un des principaux sponsors du mouvement transhumaniste, notamment par le soutien financier massif des entreprises portant sur nos fameuses NBIC et par l’engagement au sein de son équipe dirigeante en décembre 2012 de Ray Kurzweil, spécialiste de l’intelligence artificielle, théoricien du transhumanisme et cofondateur de la Singularity University,  prônant le concept de singularité technologique, c’est-à-dire l’avènement d’une intelligence artificielle qui « dépassera » les capacités du cerveau humain.

 

L’ambition du géant de l’internet est ouvertement de réussir à appliquer son modèle de réussite dans le domaine des technologies de l’information à celui des technologies de la santé et des biotechnologies, afin d’améliorer la qualité et de prolonger la durée de la vie humaine, notamment en parvenant à faire de son moteur de recherche la première et la plus performante des intelligences artificielles.

 

On imagine facilement les motivations sous-jacentes à ce financement. Sergei et Larry ont déjà tout ce qu’il est humainement possible d’avoir. Ils ont réussi à conquérir la planète mais une fois morts ça ne va pas leur servir à grand-chose. Leur quête nous interroge sur la nécessité d’une finitude de l’existence et sur l’importance de la mort, éthiquement comme socialement parlant.

 

Et c’est là l’aspect éminemment compliqué du débat sur le transhumanisme, comment dé-corréler la technique, l’objectif initial, les financeurs, l’éthique de ces financeurs ?

 

Ce qui est compliqué, c’est que les prouesses techniques, les améliorations au quotidien pour les personnes qui en bénéficient sont réelles et nécessaires. Quand on permet à une personne amputée de remarcher, quand on permet à une personne qui n’a jamais pu entendre d’être appareillée et de pouvoir entendre l’environnement autour d’elle, la prouesse est réelle et avant tout – c’est mon point de vue – elle est bénéfique pour l’humanité.

 

Ce qu’il faut bien distinguer, ce sont ces deux aspects :

 

L’aspect d’évolution technologique, qui en soi n’est pas mauvaise.

Et l’application commerciale qui en sera faite et surtout par qui.

 

C’est un peu la même chose sur énormément de thèmes, il faut dé-corréler la technique en elle-même du poids économique qu’il y a derrière et de l’implication des gens qui vont à terme la vendre ou en posséder les brevets.

 

C’est là que le distinguo doit se faire et qu’il est extrêmement compliqué. On a des gens qui investissent dans des technologies qui sont positives pour le plus grand nombre, mais qui dit investissement dit retour sur investissement.

 

Et là on se retrouve face à quelque chose qui peut s’avérer extrêmement dangereux, à partir du moment où une personne possède des brevets sur l’être humain. Au final, on en revient à ça : une fois que l’hybridation est faite, une fois que vous avez dans le corps ces nanotechnologies ou greffées à vos muscles ces prothèses, l’entité qui vous les aura vendues, qui en a la propriété intellectuelle et qui en assure la maintenance, deviendra automatiquement propriétaire d’une partie de votre entité.

 

On peut rechigner à aborder la question politique. C’est néanmoins sur ce terrain que se joue et se jouera le contrôle nécessaire de ces entreprises. Au-delà des partis pris idéologiques, l’existence d’une instance pouvant arbitrer ces questions est indispensable. La neutralité de cette instance est indispensable. Les transhumanistes ont bien compris le frein que peut représenter ce genre d’institution. Ils précisent dans leur déclaration : « Il serait catastrophique que ces avantages potentiels ne se matérialisent pas à cause de la technophobie ou de prohibitions inutiles ». Je pense au contraire que la prudence et le contrôle sont nécessaires, comme dans d’autres aspects de la vie quotidienne, mais là plus qu’ailleurs, alors que l’on modifie le génome humain et la vie en général.

 

Je me rallie donc aux auteurs qui m’ont fait rêver adolescent, leurs visions futuristes doivent nous inciter à la prudence. L’humain augmenté pose finalement la question de la société dans laquelle nous vivons et dans laquelle nous souhaitons vivre.