Le rituel: Ouverture ou enfermement? Liberté ou obscurantisme?

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Qu’y a-t-il de commun entre la religion, l’armée, les scouts et la Franc-maçonnerie?
Eh bien c’est l’ensemble de gestes et des symboles mis en commun pour apporter une certaine harmonie: le rituel.
Mais ce qui différencie le rituel maçonnique des autres rituels est l’absence de dogmatisme et donc de « fermeture ».
Mais regardons d’abord ce que n’est pas un rituel maçonnique.
Ce n’est pas un rituel occultiste. Les gestes et symboles utilisés n’ont pas pour objectif de communiquer avec je ne sais quels esprits venant de l’au delà. Encore moins pour nous mettre en transe ou exorciser le démon.
Ce n’est pas une messe ou une cérémonie religieuse puisque nous ne prétendons pas communier avec un être suprême dont nous serions les humbles serviteurs et de qui nous implorerions le pardon et la rémission de nos péchés.
Ce n’est pas une cérémonie militaire (ou scoute puisque lord Baden Powel créateur du scoutisme s’en est inspiré) car il n’est demandé nulle obéissance à la hiérarchie et nulle soumission à des règles militaires restreignant la liberté de conscience et de pensée.

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Néanmoins nous savons tous que les rédacteurs du premier rituel maçonnique et des constitutions sont des pasteurs anglicans, Anderson et Desaguliers. Ils ont certainement introduit dans le rituel maçonnique nombre d’éléments du rituel chrétien mais l’ont enrichi avec des symboles purement maçonniques.

Alors regardons maintenant ce qu’est le rituel maçonnique
D’abord il s’agit comme au théâtre d’une unité de temps et d ‘espace. On se réunit dans un lieu unique (pas de téléconférence ou skype ) . Nous laissons à l’extérieur les « métaux » (signes et/ou engagements profanes tels que ceux politiques, religieux , affairistes …) et donc pendant la tenue le temple est sacralisé.
Arrêtons-nous quelques temps à cette notion de sacralisation.
Dans notre culture le sacré évoque plutôt la religion. Mais si on se réfère à l’étymologie le sacré veut dire séparé, mis à part. Il s’agit de créer une sorte d’espace dans lequel nous nous serions séparés du monde extérieur, du monde profane et ainsi pouvoir librement et sans aucune influence travailler à notre tâche. Voici la notion de liberté. Le rituel nous libère de contraintes extérieures nous libère des convenances sociales. Les faits et gestes sont normalisés, codifiés, ritualisés.
Prenons un exemple: Le Frère ou la Sœur qui souhaite prendre la parole doit au préalable, la demander ,quand elle lui est accordée il a la garantie de pouvoir s’exprimer librement et ensuite la liberté d’argumentation, puisque de cette façon on évite la pagaille et le désordre propre aux émissions du regretté Michel Polac.
Avant la démocratie en Grèce au 6eme siècle av JC et après la chute des tyrans les citoyens libres d’Athènes ont revendiqué non pas l’accès au pouvoir mais le droit à l’égalité de la parole  » isigoria ». Chaque citoyen avait une chance égale d’exprimer son point de vue. Le représentant de la cité demandait: qui veut , qui peut donner un avis utile pour la patrie.
Il en est de même dans notre rituel.
Un autre exemple. Le rituel d’initiation. Dans ce processus avant de procéder à l’initiation, le vénérable demande au profane de confirmer qu’il se présente ici librement et qu’il consent librement à subir les épreuves de l’initiation.
Et une fois initié le Frère ou la Sœur commence à comprendre qu’il s’engage dans un lent processus lui permettant d’accéder au fur et à mesure à la véritable liberté dans ses pensées et ses actes.
Nous savons aujourd’hui que, en plus des obstacles extérieurs à la liberté individuelle il existe des obstacles intérieurs, à savoir: les motivations inconscientes de l’individu résultant de sa propre histoire…Elles déterminent dans une large mesure nos pensées et nos actes.L’initiation maçonnique consiste précisément au questionnement et à l’évolution de ces déterminations par la connaissance de soi.
Le rituel est l’ensemble des faits et gestes enrichi des symboles. Ces symboles sont identiques pour tous les Francs-Maçons. Mais la diversité d’interprétation des symboles fondée sur l’intuition, la tradition, la culture la compréhension individuelle de chaque Frère ou Sœur confère à ceux-là une fonction éducative adogmatique. C’est ainsi que nous découvrons chaque fois des aspects nouveaux dans les planches des Frères et Sœurs sur les symboles malgré l’abondante littérature sur ces sujets. D’ailleurs je trouve que les meilleures planches symboliques sont souvent celles des Frères et Sœurs qui ont pris soin de donner leur propre interprétation sans se laisser influencer par l’immense littérature existante. Liberté de pensée toujours.
Le rituel sert à perpétuer une tradition. Je vous laisse méditer les paroles de maître K´ung autrement dit Confucius:
« tout est transitoire sauf l’idée du bien et le rituel. Je sais que nos trois mille trois cents observances font sourire Mais sans le rituel la courtoisie devient assommante, la prudence devient de la timidité, l’audace devient dangereuse, l’inflexibilité devient de la dureté ».

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La parole rituelle est au cœur du rite, et c’est elle qui met en mouvement les objets et les processus interactifs qui les impliquent. En Maya la parole et le chant chamanistes contribuent à la transformation des symboles. C’est en priant que le chaman les rend actifs, faute de quoi ils restent inertes. A la fois expression du chaman et parole des esprits, le parler rituel effectue des transformations du sujet, des esprits auxquels il s’adresse et du patient qu’il soigne. Pour les chrétiens la parole rituelle du prêtre effectue la transsubstantiation du pain et du vin en corps et sang du Christ.

Pour nous Franc-Maçons hors de tout occultisme ou religion, la parole rituelle et la solennité contribuent a ce que certains appellent « l’égrégore ». En latin, egregius signifie « remarquable, illustre, exceptionnel » mais permettez-moi de préférer la version grecque Celui-ci se trouve aussi bien dans έγρήγορα (égrègora), faire lever, éveiller, réveiller, que dans le verbe dérivé έγρηγοράω (égrègoraô), être éveillé.

En clair donc l’égrégore est cet esprit de groupe, une force partagée qui éveille les consciences, qui libère les esprits et produit une force commune et partagée. C’est le produit du rituel, l’effet qui nous ouvre la voie vers l’introspection libre, qui libère les esprits des contingences du monde profane.

Le tablier que porte l’apprenti est l’emblème du Travail tant manuel qu’intellectuel.
Ceci m’amène au titre de notre Loge: «  liberté par le travail ». Le travail intellectuel qui libère la conscience, libère l’homme de la dépendance des autres hommes ou de lui-même. Le travail en loge s’appuie sur le rituel qui contribue à libérer le Franc-Maçon de tout dogmatisme extérieur mais aussi de le libérer de ses propres contraintes par cette expérience intime qu’on appelle véritable secret maçonnique puisque impossible à communiquer à l’extérieur si on le l’a pas vécu soi même.
Le rituel est l’outil qui permet au Maçon d’ouvrir les yeux pour voir la lumière, cette lumière que chacun peut voir à condition de la mériter, à condition de faire l’effort de rechercher en lui-même cette étincelle.
Je terminerai donc par cette citation de Kant: « Les lumières c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable ».